Nous
étions sous le charme de ses derniers albums, il était
donc indispensable de rencontrer Serge Forté. L'homme est
à l'image de sa musique, festif et communicatif, sachant
faire partager sa passion de la musique avec simplicité
et enthousiasme. Et le pianiste n'est pas avare en anecdotes.
Comment
êtes-vous devenu pianiste de jazz ?
J'étais à la fac de musicologie classique à
Lyon, un jour, durant un cour d'harmonie où je ne comprenais
rien parce que j'étais arrivé en retard, j'avais
oublié mes lunettes
j'ai entendu deux gars à
côté de moi qui cherchaient un pianiste pour un groupe
de bal. Je leur ai dit que ça m'intéressait et nous
avons convié d'un rendez-vous.
J'arrive
à la répétition, il y avait beaucoup
de musiciens, des violons, des cuivres. Je m'installe et sur
le clavier, il y avait des grilles d'accords, des notations
avec des lettres ; ce que je n'avais jamais vu de ma vie.
Je n'osais rien dire. Le chef d'orchestre annonce :"
Nous allons commencer par quelque chose de simple pour le
petit nouveau : My Way. " J'en déduis maintenant
qu'il devait y avoir d'écrit sur cette grille : intro
piano C. Imaginez la scène, une vingtaine de musiciens,
moi au milieu, " One, two, three, four !" . (Il
siffle) Je ne me sentais pas concerné, je pensais qu'il
allait faire répéter les violons. Il s'adresse
à moi : " Ca va ? Tu te sens bien ? " "
Oui, ça va très bien. " " Alors, nous
reprenons, My Way, one
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Toujours rien.
Il désigne les grilles sur le piano : "Mais, tu as
les partitions. " Je jette un coup d'il : " Vous
appelez ça des partitions ? " On a fini par s'engueuler
assez gravement, moi le traitant d'ignorant, en pensant qu'il
avait inventé un code qui ne servait qu'entre eux car ils
ne savaient pas lire les notes sur une portée. Je me suis
fait jeter avec pertes et fracas !
Par la suite, j'ai mis une annonce pour donner des cours de piano,
un type m'appelle et me dit " Je dirige un orchestre de bal..
" " Et vous utilisez ces espèces de lettres bizarres
? " " Oui, le chiffrage des accords avec les lettres.
" Je me suis dit que ce n'était pas possible, qu'il
y avait une confrérie (rires) des orchestres de bal qui
ne savaient pas lire la musique. " C'est une notation qui
existe depuis le moyen âge, elle est beaucoup utilisée
dans le jazz, allez voir dans un magasin de musique, vous verrez
bien ! " Le type a fini par m'inviter à prendre un
café et m'a tout expliqué.
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Pour
en revenir à la question, tous les musiciens de cet
orchestre étaient des musiciens de jazz qui faisaient
du bal pour gagner leur vie. Tous les morceaux de l'orchestre
sonnaient jazzy, notamment grâce au guitariste qui était
un fan de George Benson. Il y avait toujours des solos de
piano et les gars me lançaient : " Allez ! A toi
! " " A moi quoi ? " Alors je me suis mis à
relever le solo du pianiste sur le disque, avec ma formation
classique, ce n'était pas tellement difficile.
La semaine suivante, je jouais exactement le solo que j'avais
relevé. Je suis ainsi devenu pianiste de jazz, petit
à petit, parce que j'ai compris que cette musique était
la plus intéressante, il y avait à la fois la
rigueur et la liberté. Je pense que j'étais
programmé pour ça, dans la musique classique,
j'avais toujours envie de mettre mes propres notes ou de changer
des accords. |
En
1990, vous avez sorti votre premier album, Vaïna, il était
parrainé par Michel Petrucciani. Comment s'est passée
cette rencontre ?
Suite
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