Je suis parti
à Berklee car il n'y avait pas énormément
d'autres écoles à cette époque. J'avais 18
ans quand je suis arrivé .C'était génial.
Nous étions 4000 étudiants, avec 600 pianistes.
C'est la première leçon d'humilité car on
passe du rôle du meilleur de la rue à l'anonymat
complet. Alors tu y vas ! Ou bien tu passes où tu craques
et rentres chez toi. C'était super bien organisé.
Toutes les partitions du monde jamais publiées étaient
à notre disposition. Les professeurs étaient de
très grande qualité. Les premières années
sont assez rigides et communes pour tous les musiciens mais permettent
d'apprendre les bases. Je suis resté trois ans et j'ai
donc fait un cycle complet.
Réussit-on
mieux si on a fait Berklee ?
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Pas
forcément, car avant de partir, j'avais étudié
avec Michel Herr et mon passage à Berklee n'a fait
que confirmer ce qu'il m'avait enseigné. La connaissance
est donc partout. La manière d'être élève
est importante. On peut garder son autonomie et sa personnalité
même dans une école. Donc y aller ou pas n'est
pas du tout un critère de réussite.
Autrefois,
on critiquait aussi ces universités américaines
car on disait que tout ce qui en sortait jouait de la même
façon. Mais c'est faux car je ne joue pas comme Diana
Krall qui était dans ma promotion.
Faut-il
en déduire qu'il faut être américain
pour réussir aux USA ?
Aux States je ne sais pas mais en Europe cela aide en tous
cas.
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Un
français comme Jacky Terrasson a pu concilier les deux
modes de vie ?
Oui et il est assez doué. Chacun a son style. Ce type de
jeu marche bien pour le public qui a toujours besoin de se rassurer
avec des virtuoses. C'est un jazz qui va vers le public dans le
bon sens du terme, en inspirant confiance et en le prenant par
la main. Nous avons une musique qui appelle le public vers nous,
et qui demande certainement plus d'efforts pour pénétrer
notre univers. Ce sont deux visions des rapports avec le public
diamétralement opposées. Mais Jacky Terrasson est
sincère et c'est ce qu'il y a de mieux à faire pour
conquérir les spectateurs. La taille du public n'a rien
à voir avec cela.
Que
se passerait-il si votre duo avec David Linx devait s'arrêter
?
Ce serait un vide, probablement plus pour moi que pour lui. Car
j'ai plus un travail de coulisse, le chanteur étant forcément
mis en avant sur la scène. Mais c'est une collaboration
riche, pleine d'énergie, qui est un plus pour les auditeurs
car il n'y a pas de complaisance entre nous. Cette force commune
est une chance. Une séparation pourrait arriver dans quelques
années mais je ne me pose pas la question car nous avons
encore de beaux projets ensemble pour le futur. Mais souvent ou
moins souvent, nous jouerons encore ensemble. Par contre cela
pourrait être un plus vers des projets personnels car inévitablement
le duo fait de l'ombre à nos propres créations.
Que
vous a t-il donc apporté ?
Enormément de choses. L'ouverture et l'absence de barrières
dans la création et dans le style. Tout cela était
déjà en moi, mais notre collaboration a accentué
la confiance dans mes choix personnels. L'ouverture n'est pas
le point fort de notre éducation car être conventionnel
est rassurant. Je suis plus pragmatique que David Linx. Par contre,
il a une discipline énorme et la musique est une priorité
dans sa vie. Il est donc très organisé. Et en même
temps, il a une folie tellement libératrice. Il existe
un balancier invisible entre nous qui régule nos humeurs.
Vous
entendre jouer en trio ?
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